Biomécanique #3 Yoga, séquençage et créativité : comment garantir la sécurité des élèves ?

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Cet article appartient à une série qui explore les piliers d’une pratique de yoga sécurisée, progressive, et adaptée, en s’appuyant sur des outils précieux : la biomécanique et la science de la douleur. À travers ces articles, nous verrons comment ils éclairent des sujets aussi variés que l’alignement, la répétition et la pédagogie, pour offrir à nos élèves une pratique durable et inspirante.

Bonne lecture !

groupe pratique la demi-pince latérale

La créativité dans le séquençage reflète notre vision du yoga, mais lorsqu’elle est mal encadrée, elle peut compromettre la sécurité et la progression des élèves.

Le séquençage des postures est l’un des aspects les plus créatifs de l’enseignement du yoga. Il reflète notre personnalité en tant que professeur.e, notre compréhension des postures et notre vision de la pratique. Mais cette créativité, si elle est mal encadrée, pourrait-elle compromettre la sécurité de nos élèves ?


Dans cet article, nous explorons pourquoi le séquençage, d'un point de vue biomécanique, doit respecter des règles fondamentales de sécurité, en mettant en avant les notions d’adaptation des tissus, de progressivité, et de répétition structurée. Nous verrons également comment concilier ces exigences avec une créativité au service des besoins individuels.

Le rôle du séquençage dans la sécurité des élèves

Un bon séquençage ne se limite pas à enchaîner les postures de manière fluide ou esthétique. Il doit être pensé pour :

  • Préparer les différents tissus du corps aux contraintes des postures les plus exigeantes
  • Répartir la charge de manière équilibrée pour éviter les blessures.
  • Respecter les principes de progressivité, en introduisant les variations et les défis au bon moment.

Ces trois piliers permettent non seulement de minimiser les risques de blessures, mais aussi de favoriser une progression durable et adaptée à chaque élève.

L’adaptation des tissus : une clé souvent négligée

Nos tissus (muscles, tendons, ligaments, os) ont une capacité remarquable à s’adapter, mais cette adaptation nécessite du temps et de la stimulation régulière. Répéter une posture ou un enchaînement permet aux tissus de se renforcer progressivement. À l’inverse, un séquençage qui introduit des variations trop rapides ou des postures avancées sans préparation expose les élèves à un risque accru de blessures.


Prenons l’exemple de Chaturanga Dandasana : cette posture, qui sollicite fortement les épaules et les poignets, doit être intégrée dans une séquence où les articulations sont préalablement échauffées et renforcées. Répéter cette posture à doses modérées, favorise l’adaptation des tissus. En revanche, une répétition excessive ou mal préparée peut entraîner des surcharges articulaires : c'est le fameux "trop fort, trop vite, trop souvent" qui est en cause dans certaines blessures.

👉 Pour en savoir plus sur l'adaptation, lire mon article Yoga durable : pourquoi tension et compression sont vos meilleures alliées

Progressivité : respecter les limites du corps

En yoga, comme dans toute pratique physique, la progressivité est fondamentale. Cela signifie :

  • Commencer par des postures accessibles, qui introduisent les bases du mouvement
  • Pratiquer régulièrement les mêmes exercices
  • Augmenter lentement la complexité et l’intensité, à mesure que les élèves acquièrent force, souplesse et endurance

Un séquençage progressif permet non seulement de prévenir les blessures, mais aussi de construire une pratique durable, où chaque élève progresse à son rythme.

Équilibrer les sollicitations au sein d’une séance

Pour éviter la surcharge d’un type de mouvement ou d’une région du corps, le séquençage doit inclure une répartition équilibrée des sollicitations. Une méthode efficace consiste à vérifier que la colonne vertébrale est mobilisée dans toutes les directions fondamentales au cours de chaque séance :

  • Flexion (comme Uttanasana ou la Pince).
  • Extension (comme le Cobra ou le Demi-Poisson).
  • Inclinaisons latérales (comme le Triangle ou le Croissant de Lune).
  • Rotations (comme la Torsion assise ou allongée).

Inclure ces différents types de postures garantit que chaque partie du corps est sollicitée de manière variée. Cela permet d’éviter une surcharge de mouvements répétitifs, tout en favorisant une sensation d’équilibre et de fluidité.

Sur le rôle des contre-postures : une question d’équilibre, pas de compensation

Il est courant d’entendre que les « contre-postures » servent à compenser ou « enlever une charge » d’une posture précédente, souvent dans une logique de rééquilibrage énergétique. Si cette idée peut être une belle image pour guider la pratique, elle repose davantage sur une vision symbolique que sur une nécessité du corps.


En réalité, le corps n’a pas besoin d’une compensation immédiate après chaque posture, mais plutôt d’une alternance harmonieuse des mouvements au fil de la séance.


Ainsi, l’objectif du séquençage n’est pas d’éviter des « déséquilibres » (une idée parfois mal interprétée), mais de créer une variété de mouvements et d’explorations corporelles. Cette approche met en avant une pratique complète, où chaque posture prépare le terrain pour la suivante, dans une continuité fluide et réfléchie.


En adoptant cette vision, vous alliez la richesse symbolique de la pratique du yoga avec une compréhension moderne du mouvement, pour une pratique qui nourrit autant le corps que l’esprit.

La créativité au service des principes de sécurité

La créativité dans le séquençage est essentielle pour garder vos cours vivants et inspirants. Mais lorsqu’elle n’est pas encadrée par des principes de sécurité, elle peut devenir problématique. Voici quelques pistes pour structurer votre créativité tout en respectant la sécurité de vos élèves :

Adaptez la progression au niveau de vos élèves

Introduisez des variations progressives et proposez plusieurs options :

  • Une fente basse peut être adaptée avec un genou au sol, puis progresser vers un Anjaneyasana plus actif.


  • Un Chien tête en bas peut devenir une Planche dynamique pour renforcer les épaules avant d’introduire une transition vers Chaturanga.

Beaucoup de répétitions et un brin de nouveauté

Pour garantir l’adaptation des tissus, intégrez des séquences répétées sur plusieurs cours, tout en introduisant des variations subtiles pour stimuler l’apprentissage.

  • Répétez une salutation au soleil classique pendant trois séances, puis ajoutez une posture supplémentaire, comme un Guerrier II ou une Torsion.


  • Modifiez progressivement les transitions entre les postures, en invitant les élèves à explorer différentes options.
groupe pratique un triangle avec le poids d'un bloc

Pour garantir une pratique durable, il ne suffit pas de penser à la charge d’une seule séance : chaque posture doit s’inscrire dans une préparation à long terme

Adapter les thématiques tout en cultivant la progressivité

Les séances de yoga s’articulent souvent autour de thématiques variées : les saisons, l’Ayurveda, des qualités émotionnelles ou des symboles inspirants. Ces approches enrichissent la pratique et la rendent engageante. Mais il peut être intéressant de s’interroger sur la manière dont ces thématiques s’inscrivent dans une progression plus large, au-delà d’une seule séance.


Prenons l’exemple des ateliers de longue durée : une session de trois heures consacrée aux appuis sur les bras ou aux inversions peut être une expérience enrichissante – mais à condition que ces types de postures aient été préparés dans les mois précédents. Dans le cas contraire, une telle séance peut constituer une surcharge importante pour les articulations, ou même pour les capacités physiques et mentales des élèves.


Est-il possible d’intégrer une thématique forte tout en respectant la continuité nécessaire à l’adaptation corporelle ? Que se passe-t-il lorsqu’un type de posture, comme les appuis sur les bras, est exploré intensément sur trois séances, puis complètement oublié ? A l'inverse, si Chaturanga Dandasana est démontré cours après cours dans sa forme la plus intense, sans alternative ?


Ces questions nous invitent à réfléchir à une pratique qui équilibre créativité et progressivité, pour garantir une approche durable et respectueuse des corps.

Sécurité et créativité, une alliance possible

Le séquençage en yoga est un art subtil qui nécessite de trouver le juste équilibre entre structure et créativité. Comme le rappelle Greg Lehman : "la dose compte", mais il ajoute aussi que "la préparation compte". Cela signifie que, pour garantir la sécurité et la progression de vos élèves, il ne suffit pas de penser à la quantité de charge ou à la variabilité d’une seule séance. Il faut également réfléchir à la manière dont chaque posture, chaque transition, et chaque séance s’inscrivent dans une préparation à long terme.


Un séquençage réfléchi ne consiste pas seulement à répartir les charges dans une séance, mais à bâtir une progression qui prépare les tissus, améliore la résilience et permet aux élèves de s’adapter progressivement à de nouvelles exigences. C’est cette vision globale et progressive qui permet de concilier science et intuition, technique et créativité.


En combinant ces principes avec une dose mesurée de nouveauté et d’exploration, vous offrez à vos élèves une pratique durable, sécurisée et profondément enrichissante – une pratique qui respecte à la fois le corps et l’esprit.


L’art du Yoga, à la lumière de la science.

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Références

  • Cramer, H., Krucoff, C., & Dobos, G. (2013). Adverse events associated with yoga: A systematic review of published case reports and case series. PLoS ONE, 8(10), e75515.


  • Fishman, L., Saltonstall, E., & Ruddy, T. (2009). Understanding and preventing yoga injuries. International Journal of Yoga Therapy, 19(1), 47–53.


  • Ravi, S. (2016). The application and effectiveness of yoga in prevention and rehabilitation of sport injuries. LASE Journal of Sport Science, 7(1), 50–60.


  • Mitchell, J. (2019). Yoga Biomechanics: Stretching Redefined. Handspring Publishing.

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